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ALLOCUTION A L’ OCCASION DE L’OUVERTURE DE L’ATELIER  SUR « LES DROITS DE L’HOMME ET LE TRAVAIL DES MEDIA EN PERIODE ELECTORALE » A L’INTENTION DES JOURNALISTES BURUNDAIS

Organisé par  le Bureau du Haut-commissariat aux Droits de l’Homme

Bujumbura, 17 Février 2015

Fr. Emmanuel Ntakarutimana

Président de la CNIDH

 

La Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) est heureuse de se retrouver avec cette famille des défenseurs des droits de l’homme, et particulièrement les partenaires de l’univers médiatique du Burundi avec lesquels nous avons développé beaucoup d’interactions ces dernières années.

Nous le savons ! Le paysage médiatique Burundais, dans sa configuration actuelle, est tributaire de l’ouverture au ferment de démocratisation qui a travaillé le Burundi dans les années 90. Au-delà des grands changements qui s’opéraient dans le monde, notamment la chute du mur de Berlin, l’effondrement des régimes autocratiques à l’Est de l’Europe, le discours de La Baule du Président français François Mitterrand à l’endroit des dirigeants africains, le Burundi a connu un bouillonnement interne, surtout après la crise de Ntega et Marangara, qui a constitué un tournant dans la vie de la nation et a conduit à une interrogation fondamentale sur les valeurs et principes démocratiques sur lesquels il fallait édifier une société burundaise renouvelée. C’est ainsi que les filles et les fils de notre peuple se sont orientés progressivement vers l’adoption d’un pluralisme de visions et de projets de société avec ouverture au multipartisme. C’est à ce moment que nous avons aussi été témoins de l’éclosion de différentes organisations de la société civile, y compris la survenue progressive d’une palette médiatique dont l’offre est aujourd’hui assez large. Les médias burundais riment donc avec déverrouillage de l’espace public pour créer de l’espace pour un débat démocratique.

Le paysage médiatique burundais a connu une croissance rapide et riche. L’audit des médias réalisé en 2013, et dont le document final est disponible, nous a déjà permis de nous faire une idée claire de la constellation du paysage médiatique Burundais, d’apprécier le cadre juridique et légal guidant son travail, de mesurer l’état de la formation des journalistes, de partager les enjeux techniques de cette formation dans le contexte d’aujourd’hui, d’évaluer les contraintes et les possibilités économiques du monde des médias et d’évoquer d’autres questions d’un intérêt certain.

Cet audit des médias avait mis en lumière huit thématiques qui demandaient un approfondissement de réflexion. A titre indicatif, j’en cite 4 :

·       Instaurer ou rétablir un climat de dialogue entre les différents protagonistes du champ médiatique (l’autorité de régulation, les autorités administratives et politiques, les médias publics et privés, les associations des médias, les partenaires, les opérateurs économiques).

•       Affirmer la mission d’utilité publique des médias et se dégager de l’économie médiatique de « résolution de conflits ».

•       Soutenir la solidarité des médias.

•       Renforcer les capacités et la qualité de production éditoriale.

 

L’audit des médias devait se prolonger dans une assise des médias qui s’est effectivement tenue à Gitega du 5 au 6 mai 2014. Des résolutions et recommandations y ont été prises qui devraient guider la gestion du travail médiatique aujourd’hui. A titre indicatif, je pourrais juste en citer quelques unes :

Les Assises souhaitaient :

·        La restauration d’un climat de confiance entre les autorités publiques et les médias ;

·       Le renforcement d’une autorégulation responsable et réactive ;

·       La construction d’un dialogue pérenne entre les autorités, les acteurs publics et les médias : organisation d’une réunion trimestrielle ;

·       Le droit d’accès à l’information publique ;

·       L’amélioration de la communication des pouvoirs publics en direction des médias et une plus grande préoccupation de la transmission de l’information ;

·       Une meilleure couverture des activités des autorités publiques par les médias privés ;

·       L’assainissement du cadre institutionnel et légal régissant l’exercice de la profession et l’activité des médias;

·       La réaffirmation de tous les médias, privés comme publics, à respecter la déontologie professionnelle.

Un comité de suivi de ces assises comprenant des représentants des médias publics, des représentants des médias privés ainsi qu’une observation indépendante a été mis sur pied et devrait aider à donner chair à tous ces rêves générés lors des assises.

 

Le présent atelier sur les droits de l’homme et le travail des médias en période électorale vient donc à point nommé et se situe dans cette belle évolution en cours. Nous sommes à la veille des élections de 2015. L’ambiance électorale se fait déjà sentir. On sent même une certaine fièvre politique qui, des fois, entraîne des nervosités, des accusations mutuelles pouvant dégénérer en confrontations, des actes de violence et même des violations des droits de l’homme.

Même si la réalité de terrain peut prendre cette apparence, l’occasion d’une période électorale devrait être envisagée de façon fondamentalement positive. Un processus électoral doit toujours être converti en une opportunité d’évaluation du niveau d’évolution du pays, de la définition des besoins actuels du pays ainsi que de la confection de programmes aptes à engager le pays dans une dynamique authentique de développement. La période électorale est un moment propice pour faire émerger les fils et les filles les plus imaginatifs, les plus créateurs et les plus talentueux en capacité de conversion des visions en réalité d’avenir. Ce moment devrait générer un temps particulier de créativité et de saine compétition, le tout orienté vers l’amélioration des conditions de vie de la population et la capitalisation des moyens d’existence pour l’avenir. Le sujet de préoccupation est précisément qu’on ne voit pas aujourd’hui ce dynamisme des formations politiques autour de la définition de projets de société accompagnée de programmes pour les mettre en œuvre, ainsi que la création d’un espace de débat qui permette de sortir d’un déficit de pensée qui marque la société depuis quelques années.

Nous ne saurions non plus ne pas évoquer la préoccupation des fils et des filles de notre peuple au sujet de l’éclatement des partis politiques en ailes marquées par une forte suspicion mutuelle, un langage violent et accusateur. Il faut aussi rester conscient des actes de provocation et des actes de violence orchestrés par des jeunes affiliés à des partis politiques.

Nos ancêtres nous ont transmis leur sagesse en nous enseignant à nous garder de la sottise de ne pas tirer la leçon des événements malheureux du passé. Si nous sommes entrain de nous engager dans un processus électoral, ce n’est pas pour la première fois dans l’histoire de notre pays que nous avons à vivre ce genre d’exercice. Nous avons eu des élections communales en décembre 1960 ainsi que des législatives en septembre 1961. Nous avons aussi eu d’autres législatives en mars 1965.  En 1993, nous avons vécu une série de rendez-vous électoraux pour différentes instances faisant la constellation des grandes institutions nationales. La même effervescence a eu lieu en 2005 et en 2010. A part le processus électoral de 2005 qui n’a pas conduit le pays dans une instabilité sur fond de violence, tous les autres rendez-vous électoraux ont laissé de grands traumatismes dans la société. Ces expériences du passé nous invitent instamment à faire face au présent processus électoral avec intelligence et sagesse pour que nous puissions l’orienter vers la génération d’un mieux être de la société burundaise. Nous devons organiser le présent processus électoral de telle façon que notre pays en sorte avec une vitalité renouvelée, un nouveau dynamisme qui conduise au renforcement de la paix, à une relance de la renaissance et du développement.

Le processus électoral authentique que nous souhaitons est celui qui nous conduirait à améliorer les standards des droits de l’homme dans le secteur civil et politique, notamment les libertés publiques comme la liberté de réunion, la liberté d’expression, la liberté de manifestation. Nous devons pouvoir mieux protéger le droit à la vie, le droit à l’intégrité physique, le droit de ne pas être soumis à la torture, et à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Nous devrions pouvoir avoir accès à une justice équitable.  Le processus électoral doit aussi nous ouvrir à une meilleure satisfaction des droits sociaux, économiques et culturels.Nous devrions renouer avec le respect de la loi et la promotion du respect des droits de l’homme.

Notre ardent désir est de voir tous les burundais ainsi que toutes les personnes habitant le Burundi rebâtir la confiance mutuelle. Nous souhaitons voir tous les Burundais développer un amour vif pour leur pays afin de pouvoir le reconstruire. C’est avec un tel esprit que le processus électoral en cours peut amener une plus-value à la nation burundaise.

Notre histoire a connu beaucoup d’avatars. Même notre jeunesse en a subi les effets. Les crises du passé ont généré en nous des traumatismes, les profondeurs variant de personne à personne. Nous devons nous assurer que ces blessures intérieures du passé ne nous conduisent pas à proférer des propos inconsidérés, à adopter des comportements agressifs ou à nous engager dans des projets et programmes impropres à construire un avenir pacifié où puissent cohabiter avec sérénité nos arrières-petits enfants comme citoyens d’une même nation.

Les tensions entre le « pouvoir » et les médias, englobés dans la « société civile » au sens large, ne se sont pas améliorées au cours des derniers mois principalement en raison du durcissement et des exclusives qui accompagnent le lancement de la campagne électorale : non-reconnaissance des partis, blocages des activités politiques (meetings et réunions) par les autorités locales, poursuites judiciaires des responsables de l’opposition, réaction suite à la couverture médiatique de certaines crises ou diffusion de certaines investigations. Le contexte est donc propice pour les professionnels des médias de réfléchir, à nouveaux frais, sur les enjeux des droits de l’homme et faire bénéficier le pays de l’importance de bâtir sur le socle solide des droits de l’homme.

Face aux enjeux de la situation actuelle, nous ne pouvons qu’exprimer nos remerciements à vous tous qui avez accepté de venir participer à cet atelier pour donner encore plus de substance à notre rêve commun d’un meilleur standard des droits de l’homme dans notre pays, en portant à cœur la délicatesse du contexte électoral. Nos remerciements s’adressent aussi au Bureau du Haut Commissaire au Droits de l’Homme ainsi qu’au système des Nations Unies qui nous aident à porter cette préoccupation avec technicité.

Notre souhait est de voir cet atelier se vivre dans un cadre convivial pour produire un fruit qui soit une bonne contribution à la qualité du processus électoral en cours.

C’est sur ces vœux d’un travail fécond que je termine mon allocution au nom de la CNIDH.

Je vous remercie.

 


Publiée le 08/11/2019 à 11h11min Partager

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